Disparition du professeur Alain Cournanel un intellectuel à l’état pur (Par Alpha Sidoux Barry)

12 novembre 2023 -
Disparition du professeur Alain Cournanel un intellectuel à l’état pur (Par Alpha Sidoux Barry)
novembre 12th, 2023 | par Leguepard.net


Hommage

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Nous sommes très nombreux à déplorer et...

Disparition du professeur Alain Cournanel un intellectuel à l’état pur (Par Alpha Sidoux Barry)

Disparition du professeur Alain Cournanel un intellectuel à l’état pur (Par Alpha Sidoux Barry)
novembre 12th, 2023 | par Leguepard.net


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Nous sommes très nombreux à déplorer et à pleurer la disparition du professeur Alain Cournanel. Il s’est vaillamment battu contre la maladie qui s’est déclarée le 7 août 2023 par un infarctus du myocarde et l’a amené à faire plusieurs va-et-vient entre l’hôpital et son domicile à Franconville dans la banlieue nord de Paris. Cela a fini par une infection pulmonaire. De guerre lasse, il s’est éteint le mardi 31 octobre 2023 à 9h20 à la clinique des Sources dans la commune de Montmorency, à l’âge de 88 ans.



Sa veuve Josiane est inconsolable. Après 65 ans d’une vie commune qui a commencé par une passion fulgurante en 1958, aucune âme ne peut s’accommoder de la disparition de l’autre. Ses trois enfants, Marc l’aîné 65 ans, Hélène 63 ans, et Serge le cadet 54 ans souffrent atrocement de la disparition d’un père admiré et respecté.



Le professeur Alain Cournanel, docteur d’Etat en sciences économiques de l’Université de Paris I-Sorbonne, a été professeur d’économie à l’Institut polytechnique Gamal Abdel Nasser (IPGAN) de Conakry en Guinée, puis à l’Université d’Es-Senia d’Oran en Algérie, ensuite à l’Institut d’études de développement économique et social (IEDES) de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et cumulativement à l’Université de Reims, en France. Il a formé des générations d’économistes dans ces trois pays.



Alain René Cournanel est né le 6 octobre 1935 à Brazzaville au Congo, de René Georges Cournanel, décédé en 1984 à l’âge de 84 ans et de Mercedes Marty, une provençale, décédée en 1977 à 67 ans.



Connu sous le nom d’Alain Cournanel, il était leur fils unique, donc un enfant adoré et choyé par ses parents. Son père était inspecteur de l’Ecole normale, d’abord à Brazzaville puis à Libreville au Gabon. Ce haut fonctionnaire colonial était épris de l’Afrique comme nombre de ses concitoyens. A ce titre, on peut rappeler le fait qu’il a accordé des bourses d’études à plusieurs élèves africains méritants qui viendront se former en France comme par exemple Alexandre Barro Chambrier, aujourd’hui éminent homme d’Etat gabonais, et beaucoup d’autres de ses compatriotes.



Alain Cournanel a commencé ses études primaires à Brazzaville, qu’il a continuées à Perpignan, puis à Nice en France où il a présenté le baccalauréat en série mathématiques en 1952, à l’âge de 17 ans. On voit qu’il s’agit d’un élève précoce et studieux dont les prédispositions ne se démentiront pas par la suite.



Il entre à l’Université de Paris-Sorbonne à la faculté de droit et de sciences économiques où il passe les deux premières années avant d’entrer à l’Institut d’Etudes politiques de Paris, plus connu sous le fameux nom de Sciences-Po. Parallèlement, il obtient le diplôme d’études supérieures (DES) de sociologie à la Sorbonne où il est l’étudiant de Georges Balandier, africaniste de notoriété internationale.



A 23 ans, Alain Cournanel, étudiant résidant au campus universitaire d’Antony, au sud de Paris, fait la rencontre fortuite d’une jeune Antillaise, une Martiniquaise, du nom de George Juliette Antoine Piquet, d’un an plus âgée que lui. Alain est littéralement subjugué par la beauté incandescente de cette Afro-descendante. On l’appelle Josiane, contraction de deux de ses prénoms.



Elle est fonctionnaire des PTT, et plus tard de France Télécom. M. Cournanel père ne voit pas d’un bon œil l’union mixte qui s’annonce. Mais le cœur a des raisons que la raison ignore. Alain passe outre les réticences de ses parents. Josiane est la femme de sa vie. Il convole avec sa dulcinée le 2 avril 1958 à la mairie de Paris 14e. De cette union naîtront trois enfants.



Né lui-même en Afrique, il était tout naturel pour Alain Cournanel d’y retourner. Ses études de droit, d’économie et de sociologie terminées, de formation marxiste, actif militant de gauche et membre du PCF, le Parti communiste français, il fait la connaissance de Saïdou Diallo, un grand syndicaliste d’origine malienne, compagnon de route de Sékou Touré, le premier président guinéen. Saïdou Diallo et son épouse Paye Cissé n’ont pas de mal à convaincre Alain Cournanel de venir aider la jeune République guinéenne, boycottée par la France. On est en 1963. Alain et Josiane s’embarquent pour la Guinée, avec leurs deux enfants Marc et Hélène.



A Conakry, la capitale guinéenne, Alain Cournanel va cumuler l’enseignement de l’économie au Lycée technique de Conakry et à l’Institut polytechnique Gamal Abdel Nasser, la première université guinéenne.



J’ai eu, quant à moi, la chance et l’insigne honneur d’être l’un de ses étudiants à l’IPGAN, de 1965 à 1969. A notre entrée dans ce prestigieux établissement, celui-ci ne comptait que 200 étudiants. Dans la classe d’économie de la Faculté des sciences sociales dont le Doyen était l’éminent Djibril Tamsir Niane, nous étions seulement cinq teen-agers, comme on disait à l’époque : Ali Badara Doukouré, Laye Camara, Mouctar Bah, malheureusement décédé le 27 avril 2023 à Paris (que le Très-Haut l’accueille au Paradis !), Alsény Barry dit Bruno et moi-même Alpha Sidoux Barry.



En 1969, le régime autoritaire de Sékou Touré se durcit. Au mois de mars, à la suite du « complot dit des militaires », la haute hiérarchie militaire est décimée dont le colonel Kaman Diaby, chef d’état major adjoint de l’armée guinéenne, de même que d’importantes personnalités politiques comme Diawadou Barry et le célèbre créateur des Ballets africains Kéïta Fodéba.



Le régime décide de se passer des coopérants occidentaux, sans aucune distinction, c’est-à-dire y compris les cadres de gauche venus aider la Guinée. Dans un mémorable face-à-face avec le président guinéen Sékou Touré, Alain Cournanel défend sa critique du Plan triennal (1960-1963) devant Louis Sénaïnon Béhanzin, à l’époque directeur général de l’Enseignement. Le téméraire Alain a touché à un tabou qui risque d’entraîner de lourdes représailles. Mais Béhanzin réussit in extremis à le tirer de ce mauvais pas.



Alain Cournanel se résout à partir, le cœur serré, car il s’était attaché à la Guinée. L’éminent économiste marxiste est accepté en Algérie, pays socialiste, où il obtient un contrat avec l’Université d’Es-Senia d’Oran en 1970 où il continue d’assurer les cours d’économie générale et d’économie du développement.



Au bout de trois ans en Algérie, il rentre en France à la fin de 1972. Il est admis comme enseignant à l’IEDES, une structure qui a été dirigée par le plus grand économiste français du XXème siècle, François Perroux. Il y assumera cumulativement la fonction de professeur d’économie et à l’Université de Reims-Champagne-Ardenne jusqu’en 1979.



Membre du PCF, il est admis alors comme économiste au comité central d’entreprise (CCE) de la compagnie nationale Air France, fonction qu’il assume jusqu’à sa retraite en 2002. De son expérience dans l’une des plus grandes compagnies aériennes du monde, il tire un livre intitulé « Les mutations du transport aérien », publié aux éditions L’Harmattan en 2001.



Mais son œuvre maîtresse est « L’économie politique de la Guinée (1958-2010) » avec pour sous-titre « Des dictatures contre le développement » aux éditions L’Harmattan dans la collection Etudes africaines, ouvrage paru en 2012. Dans cette étude magistrale, il analyse les deux régimes que la Guinée a connus en l’espace de 50 ans.



La Ière République (1958-1984), personnalisée par Sékou Touré, est l’incarnation, estime le professeur Cournanel, d’un despotisme assumé qui a sacrifié le développement de la jeune République à l’omnipotence du parti unique aux mains d’un noyau inamovible. Son étatisme outrancier aux visées exclusivement politiques s’est enlisé dans la stagnation, la pénurie et des accès sporadiques de violence meurtrière.



Avec la IIème République (1984-2008), l’intrusion des prétoriens et l’abandon de l’économie à la doctrine libérale du FMI et de la Banque mondiale se sont révélés tout aussi catastrophiques sur le plan économique que périlleux pour la survie de l’Etat et de ses capacités d’action, tout cela pour un bilan aussi décevant que celui de la Ière République.



Et le livre s’achève par la clarification des options possibles qu’il envisage pour un pays dont le devenir lui tient à cœur.



Alain a gardé jusqu’à la fin un bon souvenir de la Guinée, d’autant plus que son troisième enfant Serge est né à Conakry quelques mois avant la fin de sa carrière professionnelle dans ce pays. Il y est retourné avec Josiane quelquefois comme pour se « ressourcer », notamment à l’invitation de ses amis Ismaël Diakité et son épouse Françoise.



Les étudiants des six promotions qu’il a formées ont occupé de hautes fonctions dans l’administration publique, plusieurs d’entre eux sont devenus des ministres dans les gouvernements successifs, d’autres ont été des directeurs de grandes sociétés d’Etat et d’autres encore des professeurs d’université de haut niveau. Tous garderont de lui un souvenir impérissable.



Cournanel avait une passion, la lecture. Il aimait lire. Il lisait partout, à chaque moment libre, à la plage, dans les transports en commun, dans une file d’attente. Il lisait de tout : économie, politique, philosophie, sociologie ou littérature. C’était agréable de reprendre un livre qu’il avait lu car on apprenait de ses commentaires en marge des pages, des remarques pertinentes qu’il faisait, des questions qu’il posait et des réponses qu’il apportait. Dans ses derniers jours à la clinique des Sources, il était encore entouré de trois romans de Romain Gary. Il était l’intellectuel à l’état pur.



Nous pleurons aujourd’hui la disparition d’un grand économiste. Notre mémoire gardera le souvenir d’un homme exceptionnel qui laisse une trace indélébile de son passage sur terre et nous veillerons à ce que celle-ci perdure pour l’éternité.











Alpha Sidoux Barry



Président des Editions Horizons émergents (EHE)





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Par DMN Diallo

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